
Mercredi, 23 avril 2025-L’Histoire, cette vieille dame au regard inquisiteur, n’oublie rien. Elle scrute, elle enregistre, elle pèse, elle juge. Elle attend de chacun, plus encore des anciens princes, qu’ils sachent sortir de la scène avec dignité, sans troubler l’ordre du monde qu’ils ont, un temps, gouverné. Or, à l’heure où le sang de Goma n’a pas encore séché, où les cris des mères de l’Est résonnent encore dans les collines dévastées, voici que le Président honoraire, entre dans cette ville suppliciée, puis se retire en silence, comme une ombre fuyante, vers les hauteurs lointaines de la Namibie.
D’après nos fins limiers , c’est dans la discrétion du 22 avril que ce retrait a eu lieu, sans discours, sans mot d’adieu, sans éclaircissement. Un silence qui parle, qui interroge, qui dérange. Où est passé ce discours annoncé comme mémorable, cette parole attendue, qui aurait dû faire date ? Elle s’est heurtée, semble-t-il, à la colère sourde du peuple et à la réaction ferme d’un pouvoir qui ne pouvait tolérer que l’on piétine la mémoire des morts au nom de calculs politiques.
Le passage de l’ancien Président à Goma, bien plus qu’un pèlerinage, a ravivé les blessures, accru les suspicions. À peine a-t-il quitté la ville que, comme par un sinistre écho, les armes du M23 résonnaient de nouveau, cette nuit à Kibati village, Miba et Mikimbi, à cent trente kilomètres de Walikale. Coïncidence troublante ?
Dans une précédente lettre ouverte au sénateur à vie j’écrivais en ces termes : « Je vous écris, non pour accuser, mais pour conseiller. Non pour polémiquer, mais pour espérer encore. L’honneur d’un ancien Chef d’État ne réside pas dans l’ombre des collines de l’Est, mais dans la lumière du rôle de sage. » Je ne retire rien à ces mots, même si leur écho fut étouffé par les clameurs d’un entourage plus soucieux de retour hypothétique aux affaires que de rédemption.
Car il faut le dire avec gravité : en s’associant, fût-ce tacitement, à un mouvement armé téléguidé par un pays étranger, en foulant Goma sans un mot pour les milliers de morts, en passant par Kigali sans une once de regret, il s’est mis, aux yeux d’un peuple meurtri, du côté de ceux qui causent la douleur. Il est vu ,à tord ou à raison, comme l’auteur intellectuel de l’insoutenable.
Mais ,il est encore temps. Oui, il est encore temps. Un chemin s’ouvre, celui de la réhabilitation morale. Ce chemin passe par un acte de courage : user de son influence pour amener le M23 à la table de la paix, au processus de Nairobi, au cantonnement ,au désarmement, à l’amnistie . À défaut de se laver les mains, il est possible de se laver la conscience. Ce serait une manière d’effacer ,un peu ,les péchés, d’ouvrir une brèche pour la réintégration, et de refermer celle du chaos.
À l’inverse, persister dans le silence, défier la communauté internationale, ignorer la position des USA serait une faute politique, mais plus encore une faute morale, et une erreur historique aux conséquences potentiellement tragiques.
Obsédé par la quête de la paix, je m’adresse une nouvelle fois au président Kabila avec la courtoisie due à son rang, mais aussi avec la fermeté qu’impose la gravité des temps. Ceux qui l’entourent aujourd’hui, au lieu d’être la voix de la raison, sont devenus les chantres de la nostalgie du pouvoir, les architectes d’un retour impossible.
Aveuglés par leur ambition, ils oublient qu’un homme n’est pas éternel, que le pouvoir est éphémère, et que la postérité, elle, est implacable.
C’est ici que la famille biologique doit entrer en scène. Car au-delà du chef d’État honoraire il y a une épouse ,un frère , un oncle. Et nul ne souhaite voir le sien sombrer, après avoir été au sommet. Il faut, pour lui, pour eux, pour tous une ultime lucidité. Une dernière grandeur.
L’Histoire attend. Qu’elle puisse écrire, demain, non l’acte d’un naufrage, mais celui d’une rédemption.
