Okapinews.net
Une

RDC-François Beya : de Kabila à Tshisekedi, l’histoire d’une chute retentissante !

publicite-candidat

Mercredi, 16 février 2022-Interpellé le 5 février, le conseiller sécurité du président est soupçonné d’atteinte à la sureté de l’État. Une accusation gravissime pour un homme réputé intouchable qui, depuis Mobutu, avait su naviguer au cœur du pouvoir.

La journée est déjà bien avancée, mais François Beya sort tout juste de la douche. A-t-il choisi de prendre son temps, en ce début de week-end, ou la chaleur de ce mois de février l’a-t-elle convaincu de repasser par la salle de bain ? Il est en tout cas plus de 13h quand des hommes tambourinent à la porte de sa résidence du quartier de La Gombe, à Kinshasa.

Le vacarme le prend au dépourvu. Il s’habille à la hâte tandis que des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR) investissent les lieux. Ses téléphones lui sont confisqués, celui de sa femme aussi. Le patron de l’ANR, Jean-Hervé Mbelu Biosha présente à François Beya une lettre lui intimant de le suivre. En dépit de son insistance, son épouse ne pourra en lire le contenu. Nous sommes le samedi 5 février. Dans quelques heures, le Cameroun et le Burkina s’affronteront pour la troisième place de la Coupe d’Afrique des nations et, à Kinshasa, l’étau vient brutalement de se resserrer autour du conseiller sécurité du chef de l’État.

Quelques minutes auront-elles suffi à sceller le sort de cet homme discret mais puissant ? À Kinshasa et dans les chancelleries, on le pensait intouchable parce qu’à la croisée de tous les réseaux. Il dirigeait le Conseil national de sécurité (CNS) et il n’était un secret pour personne qu’il avait la main sur les dossiers les plus sensibles, ceux qui requièrent habileté et entregent. Et pourtant, assure, formel, un membre de l’entourage immédiat du président : « Félix Tshisekedi a autorisé cette arrestation ».

Lorsque les agents de l’ANR emmènent François Beya ce 5 février, le chef de l’État se trouve à des milliers des kilomètres de là, à Addis-Abeba. Il n’ignore rien de ce qui se joue au pays, mais il ne pouvait pas ne pas assister à ce sommet de l’Union africaine au cours duquel il doit transmettre la présidence tournante de l’organisation à son homologue sénégalais, Macky Sall. Une fois n’est pas coutume, son séjour éthiopien sera bref. Il n’assiste même pas au dîner offert, le samedi soir, par le Premier ministre Abiy Ahmed. Dans la nuit, il est déjà sur le chemin du retour. Et tant pis pour la cérémonie de clôture, à laquelle il est de coutume que les présidents sortants de l’UA assistent.

Revenu à Kinshasa, Félix Tshisekedi choisit de ne pas s’exprimer publiquement sur la chute de l’un des hommes les plus puissants du pays. Il sait que la rumeur a enflé, que les Congolais ont été prompts à faire le lien avec une autre disgrâce, toute aussi brutale, survenue quelques jours plus tôt : celle de Jean-Marc Kabund, qui régnait depuis deux ans sur l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).

Il faudra attendre trois jours avant que la présidence ne se décide à communiquer sur ce séisme qui a ébranlé Kinshasa. S’exprimant sur les ondes de la télévision nationale, le porte-parole de Félix Tshisekedi, Kasongo Mwema Yamba Yamba, explique qu’il « s’agit d’une affaire relevant de la sûreté de l’État ». « Dans le cas actuel, on peut affirmer que les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale », ajoute-t-il.

Quels sont ces indices ? François Beya a-t-il, comme certains le laissent entendre, caressé l’idée d’un coup d’État ? La présidence congolaise ne souhaite pas répondre aux questions, mais précise tout de même que « le processus démocratique amorcé par la première passation pacifique du pouvoir, en janvier 2019, est un acquis à préserver à tout prix » et martèle qu’« aucune tentative de déstabilisation des institutions démocratiques ne sera tolérée ». Le sous-entendu est lourd et l’accusation gravissime.

Pour François Beya, ce n’est pas une disgrâce, c’est une dégringolade. Les uns affirment qu’il s’est compromis, les autres qu’il fait les frais d’une guerre de palais. Ceux-là ajoutent qu’il était resté proche de l’ancien président, Joseph Kabila, et qu’il n’est pas exclu qu’il le paye aujourd’hui.

Un diplomate raconte qu’à ses visiteurs, qu’il recevait dans ses bureaux de l’hôtel Sultani, le conseiller spécial offrait volontiers une coupe de champagne. Et tandis qu’ils le sirotaient, ils pouvaient contempler les nombreux clichés accrochés au mur comme autant de symboles de son influence : Beya avec le pape, Beya avec Nicolas Sarkozy, Beya avec Jean-Pierre Bemba, Beya avec Moïse Katumbi… Sur l’un d’entre eux, il prend la pose entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. La preuve qu’il n’a pas voulu choisir ?

Début 2019, l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi ne paraît pas remettre en cause l’influence de Beya. Sitôt investi, le premier fait du second son conseiller en matière de sécurité. Il lui confie le CNS, qui chapeaute l’ensemble des services de renseignement. Mais c’est un choix de raison, explique un diplomate qui a ses entrées au palais. « Dès le début, cela a été une relation de nécessité, analyse-t-il. Le nouveau président avait besoin de quelqu’un d’expérimenté, qui savait où en étaient les dossiers et comment ils devaient être traités. Il n’y avait pas entre eux de véritable intimité. »

Il faut dire que François Beya est un vétéran des services. Originaire du territoire de Dibaya, dans l’actuelle province du Kasaï Central, il fait partie de la première génération d’officiers des renseignements zaïrois formés par le Mossad. Recruté par Seti Yale, le patron des services des renseignements de Mobutu, et parrainé par Honoré Ngbanda, l’un des plus fidèles « sécurocrates » du maréchal, il a depuis servi tous les régimes, tissant sa toile au sein du Centre national de documentation (l’ancêtre de l’ANR), puis de la Direction générale de migration (DGM), dont Joseph Kabila lui confiera les rênes.

Nommé en février 2019, il se fait rapidement de nouveaux ennemis dans l’entourage du président. Il est aux premières loges lors de la chute de Vital Kamerhe. À Kinshasa, il se murmure qu’il ne serait pas complètement étranger aux déboires judiciaires de l’ancien directeur de cabinet, accusé de détournement de fonds et condamné à treize ans de prison en appel.

En butte à l’hostilité de Jean-Marc Kabund, qui n’hésite pas à le critiquer publiquement lorsque leurs points de vue divergent, il assiste à sa marginalisation progressive. Il voit les proches et la famille du président se détourner un à un du patron de l’UDPS. François Beya a-t-il senti son tour venir et le danger se rapprocher ?

Ces derniers mois, il avait des relations conflictuelles avec plusieurs membres du premier cercle. Avec Yane Fumuatu, son assistant principal, qu’il a suspendu de ses fonctions en décembre 2020, avec interdiction de quitter le territoire. Accusé d’insubordination, d’usurpation de qualité et de trafic d’influence, ce dernier accompagnait Félix Tshisekedi partout lors de la dernière campagne électorale. Toujours influent, il n’a pas oublié ce camouflet que le conseiller sécurité lui a infligé.

Les relations de Beya avec le conseiller privé du chef de l’État, Fortunat Biselele, n’étaient pas meilleures. Surnommé « Bifort », Biselele a été convoqué par le CNS dans le cadre d’un conflit avec d’autres personnalités proches du président – dont Corneille Nangaa, l’ancien président de la commission électorale – autour d’un carré minier. À la suite de cette affaire, Beya s’est vu retirer une partie de ses prérogatives au profit de l’ANR. Il n’a d’ailleurs pas été associé à la nomination de Jean-Hervé Mbelu à la tête de l’agence.

François Beya a-t-il manqué de discrétion en se plaignant du comportement de certains des collaborateurs du président – collaborateurs dont l’expertise est inégale mais qui sont néanmoins écoutés ? Un de ses proches évoque l’existence d’un audio dans lequel Beya regrette que Tshisekedi « ne gère qu’avec des incompétents et des jouisseurs ». Une conversation privée, vraisemblablement enregistrée par un membre de sa propre équipe.

Interrogé par Jeune Afrique, un membre du gouvernement assure néanmoins que cela ne suffit pas expliquer l’audition de Beya et que celui-ci ne peut pas être la simple victime de règlements de comptes internes. « Le président ne peut pas se permettre de le lâcher à cause d’une guerre de palais, affirme notre interlocuteur. Il y a eu trahison de la part de François Beya. J’insiste : il y a eu trahison ! »

Selon nos informations, l’ANR a perquisitionné ses bureaux du Sultani ainsi que ceux du CNS. « Il était sous surveillance depuis un certain temps, ajoute une source proche de l’enquête. Il y a des informations prouvant qu’il fait partie d’un réseau qui visait la déstabilisation des institutions. Et dans ce réseau, à l’intérieur et à l’extérieur de la RDC, il y a même des histoires minières. » « Pourquoi est-il le seul à être arrêté s’il y a tout un réseau ? rétorque un proche de l’accusé. Il s’agit d’une guerre des clans qui fait rage dans l’entourage du chef de l’État et cela a abouti à la neutralisation de Beya, qui incarnait la frange la plus rationnelle. »

Les personnes qui l’ont côtoyé décrivent toutes Beya comme un homme toujours « courtois », bien que peinant à ses défaire « de ses habits de flic ». « Un chef juste et bien », insistent ses collaborateurs. « Dévoué à sa famille », ajoutent ses proches, qui ont largement profité de sa générosité et de son réseau.

C’est aussi un homme riche, propriétaire de nombreux au Congo et à l’étranger, qui a même des parts dans une brasserie en vue, et dont le réseau s’étend de Kinshasa à Bangui, en passant par Brazzaville et Kigali. « Il y a d’ailleurs quelques pays qui ont appelé Félix Tshisekedi pour s’assurer que tous ses droits étaient respectés », affirme un membre de l’entourage présidentiel. Selon nos informations, François Beya était également un contact privilégié pour les services de renseignement étrangers, y compris pour la CIA.

« Phobie de Kabila »

« Il était clair qu’il y avait des soupçons sur la loyauté de Beya, commente un diplomate en poste à Kinshasa. J’imagine qu’il est finalement allé trop loin. » « Il n’a pas compris la dynamique du palais. Tshisekedi écoute beaucoup ses amis et sa famille biologique, ajoute une source bien renseignée. C’est à eux qu’il fait confiance. »

Est-ce une infraction que de rester en contact avec Kabila, avec qui il a travaillé pendant plus de dix ans ?

Et cette proximité avec Joseph Kabila qui lui est si souvent reprochée ? « Dans l’entourage de Tshisekedi, il y a une sorte de phobie de Joseph Kabila, relate un proche de Beya. Quand le conseiller a essayé, dans l’intérêt de la paix entre les deux hommes, de peser en faveur de l’ancien chef de l’État, il a été soupçonné de traîtrise. » « En quoi est-ce une infraction que de rester en contact avec un président avec qui on a travaillé pendant plus de dix ans », interroge un proche de l’ancien chef de l’État. Une chose est sûre, conclut-il, « les relations entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila se sont beaucoup détériorées et ils ne sont plus en contact direct. Ils ne communiquent plus que par personnes interposées. » François Beya pourrait-il en avoir fait les frais ?

Un article tiré de JEUNEAFRIQUE

publicite-candidat

Liens Pertinents