Vendredi, 17 février 2023-Dans un mémorandum adressé hier au Président de la République, les évêques catholiques disent avoir l’impression que «la population congolaise est prise au piège entre guerres d’influence et la bataille pour le contrôle de ses ressources naturelles».
La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a proposé à Félix Tshisekedi la mise en place d’un cadre national large en vue d’évaluer les accords et les alliances signés pour mettre fin à l’insécurité à l’Est.
C’est ce jeudi 16 février que les évêques catholiques ont adressé un mémorandum au Président de la République axé particulièrement sur la situation sécuritaire dans la partie Est de la RDC.
«Il importe de mettre en place un cadre national large en vue d’évaluer les accords et les alliances qui constitueraient des pesanteurs dans les efforts pour sauver la patrie en vue d’arrêter de nouvelles stratégies», suggère le prélat catholique. Proposition que le président de la CENCO considère comme apport de l’Eglise.
Face à la situation dans l’Est de la RDC, la CENCO affirme que l’Eglise catholique est toujours disposée à accompagner le chef de l’État dans ses initiatives de paix en lui proposant des actions à mener.
«LE PEUPLE PRIS AU PIÈGE»
Les évêques catholiques disent avoir l’impression que «la population congolaise est prise au piège entre guerres d’influence et la bataille pour le contrôle de ses ressources naturelles». Dans ce mémo, CENCO) interpelle le chef de l’État sur la présence des troupes de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC).
«(…) La présence à l’Est de notre pays de troupes ou des officiers encadreurs des pays cités comme agresseurs de la RDC suscite beaucoup d’interrogations. (….) Ces événements dramatiques ne participent-ils pas à la mise en œuvre du plan de balkanisation de notre pays?», s’interrogent à haute voix les évêques catholiques.
La CENCO est, par ailleurs, convaincu que la situation sécuritaire en Ituri, au Nord Kivu et au Sud Kivu demeure préoccupante. Et «face à cette crise, plusieurs initiatives militaires et diplomatiques sont prises : les prolongations de l’état de siège, la multiplication du nombre d’intervenants (FARDC, MONUSCO, les troupes de l’EAC, notamment du Kenya, Burundi, Ouganda, ainsi que les officiers du Rwanda), mais la paix est loin d’être rétablie», constate Mgr Marcel Utembi, Archevêque Métropolitain de Kisangani et Président de la CENCO. Rachidi MABANDU
MEMORANDUM DU COMITE PERMANENT DE LA CENCO ADRESSE A SON EXCELLENCE MONSIEUR FELIX ANTOINE TSHISEKEDI, PRESIDENT DE LA RD CONGO, CHEF DE L’ETAT
Messages des évêques 16 février 2023
Excellence Monsieur le Président de la République,
Nous vous remercions d’avoir répondu favorablement à notre requête de vous rencontrer en votre qualité de Président de la République, Chef de l’Etat, Garant de la Nation.
Aussi, saisissons-nous l’occasion de réitérer à vous et à votre Gouvernement notre gratitude pour votre impulsion et implication dans les préparatifs de l’accueil du Saint-Père, le Pape François, tel que nous l’avons exprimé dans notre message du 4 février 2023.
Réunis à Kinshasa, du 06 au 08 février 2023, en session ordinaire de notre Comité Permanent, Nous, Cardinal, Archevêques et Evêques, membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), nous sommes penchés sur la situation sécuritaire qui prévaut dans la partie Est de la RD Congo.
Contexte
Comme vous le savez, la situation sécuritaire en Ituri, au Nord Kivu et au Sud Kivu demeure préoccupante.
Le Saint-Père, le Pape François, lors de sa visite chez nous, n’a pas manqué d’évoquer cette situation dramatique à l’Est de la RD Congo, un conflit qui semble être oublié par la Communauté internationale et qui étouffe notre pays.
Dans notre message du 9 novembre 2022, intitulé L’heure est grave. Notre Pays est en danger ! (cf. Néh 2,17), nous avons alerté sur la grave détérioration de la situation sécuritaire avec pour conséquences : les massacres des civils, le déplacement massif des populations et la violation des droits humains. Aujourd’hui, cette crise sécuritaire affecte tous les secteurs de la vie nationale.
Initiatives en cours
Face à cette crise, plusieurs initiatives militaires et diplomatiques sont prises : les prolongations de l’état de siège, la multiplication du nombre d’intervenants (FARDC, MONUSCO, les troupes de l’EAC, notamment du Kenya, Burundi, Ouganda, ainsi que les officiers du Rwanda), mais la paix est loin d’être rétablie.
Par ailleurs, la présence à l’Est de notre pays de troupes ou des officiers encadreurs des pays cités comme agresseurs de la RD Congo suscite beaucoup d’interrogations.
Nous avons l’impression que la population congolaise est prise au piège entre guerres d’influence et la bataille pour le contrôle de ses ressources naturelles. Ces événements dramatiques ne participent-ils pas à la mise en œuvre du plan de balkanisation de notre pays?
Nous saluons vivement votre diplomatie et les efforts déployés par le Gouvernement pour venir à bout de l’insécurité et contrecarrer le projet de balkanisation du pays que nous n’avons cessé de dénoncer.
Contribution de l’Eglise catholique
Pour sa part, l’Eglise catholique est toujours disposée à vous accompagner dans vos initiatives de paix. Veuillez trouver ici quelques propositions et actions à mener:
– Nous estimons que pour lutter contre les forces négatives qui sèment la désolation à l’Est du pays, il est nécessaire d’obtenir l’appui de leurs communautés de référence afin de les persuader de déposer les armes. L’Eglise catholique pourrait s’appuyer sur ses Commissions Justice et Paix pour impliquer ces communautés de référence.
– Considérant le danger de la balkanisation, nous avons organisé une marche dans toutes nos circonscriptions et sur toute l’étendue du territoire national, le 4 décembre 2022 pour redire » non à la balkanisation « .
Face à cette menace, la meilleure barrière est de consolider la cohésion nationale et de raviver l’esprit patriotique. Il est opportun de contrôler certains leaders d’opinion qui s’illustrent par leurs propos désobligeants et les acteurs politiques qui diffusent les discours d’incitation à la haine et à l’exclusion.
– Il importe de mettre en place un cadre national large en vue d’évaluer les accords et les alliances qui constitueraient des pesanteurs dans les efforts pour sauver la patrie en vue d’arrêter de nouvelles stratégies.
– Les camps des déplacés et des humanitaires sont exposés aux attaques des groupes armés. Il sied de garantir leur protection et prêter une assistance durable aux déplacés et aux humanitaires travaillant dans les zones de conflit.
– Face au soupçon de corruption et de détournement des fonds alloués aux soldats, particulièrement ceux qui sont au front, nous proposons de renforcer le dispositif de suivi et de contrôle ainsi que des poursuites judiciaires à l’égard de tout contrevenant.
Conscients de notre appartenance à la Nation congolaise et en vertu de notre mission prophétique, ce qui est au cœur de nos préoccupations, c’est le souci pour la vie de nos frères et sœurs meurtris depuis plusieurs décennies et l’avenir de la RD Congo. Il est tout indiqué de continuer la mobilisation des forces à l’interne en incitant les jeunes à s’enrôler dans l’armée, tout en cherchant l’appui de l’extérieur. Nous n’hésiterons pas à apporter notre contribution à toute initiative qui aura pour finalité de garantir la sécurité nationale, l’intégrité territoriale, la stabilité de l’Etat et de ses Institutions, la paix sociale. A cet effet, nous restons disposés à accueillir ce que vous attendez de nous.
Kinshasa, le 08 février 2023.
Mgr Marcel UTEMBI TAPA
Archevêque Métropolitain de Kisangani
Président de la CENCO