Mercredi, 23 février 2022-Alors que son ex-conseiller sécurité est toujours entre les mains de l’ANR, le chef de l’État étudie les suites à donner à cette affaire.
Interpellé le 5 février, l’ancien « monsieur sécurité » de Félix Tshisekedi se trouve toujours sous bonne garde dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR).
Selon plusieurs sources sécuritaires, tout un appartement lui a été réservé. Seul un carré de proches a encore accès à lui, dont son épouse, sa fille, son frère aîné Constantin Tshiyombo, qui préside le conseil d’administration du Fonds pour la promotion de l’industrie (FPI), et son médecin.
François Beya avait-il senti le vent tourner ? Les jours précédents, l’ex-conseiller spécial du chef de l’État n’était quasiment plus joignable.
« Il n’était plus accessible et a prétexté qu’il était malade », explique un membre de l’entourage présidentiel. Comme l’avait révélé Jeune Afrique, il n’avait pas été associé à la nomination de Jean-Hervé Mbelu Biosha à la tête de l’ANR en décembre 2021 et avait été dépossédé de certaines de ses prérogatives au profit de ce dernier.
En réalité, selon nos sources, ce « transfert de compétences » avait été fait sur la base d’une ordonnance signée par Félix Tshisekedi et restée confidentielle. Un document préparé par l’ANR donc, mais aussi par la Direction générale de migration (DGM) dirigée par Roland Kashantwale.
Deux semaines après son arrestation, le sort réservé à François Beya semble toujours incertain. Selon nos informations, deux options sont actuellement sur la table.
L’ombre de Delphin Kahimbi
La première piste discutée est son maintien en détention dans les locaux de l’ANR le temps que les investigations se poursuivent. L’autre est son placement en résidence surveillée. Toujours selon nos sources, la seconde option fait débat en raison du souvenir encore vif du décès – non élucidé à ce jour – de Delphin Kahimbi.
Le chef des renseignements militaires avait été retrouvé mort en février 2020 alors qu’il se trouvait en résidence surveillée pour répondre à des auditions pilotées par François Beya.
L’arrestation de l’ex-« monsieur sécurité » semble avoir pris de court le premier cercle de Félix Tshisekedi. Ce dernier a pris cette décision alors qu’il se trouvait au sommet de l’Union africaine (UA), qui s’est tenu à Addis-Abeba les 5 et 6 février.
En congés en Europe, la première dame, Denise Nyakeru Tshisekedi, a personnellement cherché à s’enquérir de la situation auprès de certains conseillers de son époux.
Denis Sassou Nguesso a tenté de se renseigner sur le sort du conseiller spécial, qui a ses entrées à Brazzaville
Denis Sassou Nguesso (DSN) a lui aussi tenté de se renseigner sur le sort de Beya, qui a ses entrées à Brazzaville. Le président congolais suit en effet le dossier de près, notamment par l’intermédiaire de son neveu, Rodrigue Nguesso, qui fait régulièrement le lien entre la Cité de l’Union africaine à Kinshasa et le palais du Peuple de Brazzaville. Tshisekedi a répondu à son homologue qu’il l’informerait des détails lors d’un sommet quadripartite organisé le 12 février à Oyo.
Selon nos informations, le « cas Beya » a bien été abordé lors de cette rencontre, à laquelle l’Ougandais Yoweri Museveni et le Togolais Faure Essozimna Gnassingbé ont aussi pris part.
Tshisekedi perdu en brousse
Si le porte-parole de Félix Tshisekedi, Kasongo Mwema Yamba Yamba, évoque une « affaire relevant de la sûreté de l’État » et affirme « que les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale », les raisons précises qui ont motivé cette arrestation demeurent incertaines et de nombreuses zones d’ombre subsistent.
Plus d’une dizaine d’arrestations ont eu lieu dans ce dossier, dont celles de hauts gradés de la Garde républicaine et d’autres unités des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) mais aussi celles de civils, congolais et étrangers.
Par ailleurs, selon nos sources, certains des assistants de Beya, dont Guy Vanda, ont été auditionnés après la perquisition menée dans ses bureaux situés au Sultani Hôtel.
Certains membres du premier cercle de Tshisekedi avancent également que le conseiller spécial aurait failli dans sa mission. Ces derniers l’accusent en effet d’avoir fait de la rétention d’informations et d’être responsable de failles dans la sécurité du président. Lors d’un déplacement au Kasaï, en décembre 2021, son convoi s’est ainsi perdu en brousse, scindant en deux son cortège sécuritaire et ne laissant que cinquante militaires pour sa protection.
De leur côté, les proches de Beya privilégient un autre scénario : celui d’une guerre des clans autour du chef de l’État, dont le patron du Conseil national de sécurité (CNS) ferait aujourd’hui les frais. En conflit avec plusieurs proches de Tshisekedi, l’ancien conseiller spécial se serait montré de plus en plus critique à leur égard, allant jusqu’à remettre en cause leurs compétences.
Une source proche de ce dernier évoque même l’existence d’un enregistrement compromettant qui aurait circulé et dans lequel il s’en prendrait ouvertement à certains d’entre eux.
Les proches de Tshisekedi l’ont régulièrement soupçonné de défendre les intérêts de Kabila
Défaut de loyauté
L’entourage de Félix Tshisekedi a souvent douté de la loyauté de ce sécurocrate chevronné, passé par l’ANR à la fin des années 1990 avant d’intégrer la DGM, dont il prendra les rênes sous Joseph Kabila. Intermédiaire entre l’ancien et le nouveau président en début de mandat, Beya a participé à nombre de leurs tête-à-tête. Mais les proches de Tshisekedi l’ont régulièrement soupçonné de défendre les intérêts de Kabila.
Cette méfiance n’a fait que se renforcer après la rupture entre les deux hommes et la fuite vers l’étranger de nombreux pontes de l’ancien régime, comme l’ex-conseiller diplomatique du raïs Kikaya Bin Karubi, l’ancien inspecteur général de l’armée John Numbi ou l’ex-patron de l’ANR, Kalev Mutond.
La présence des deux premiers en Afrique australe, où Kabila a effectué de nombreux voyages ces derniers mois, a alimenté les suspicions autour de l’ancien président. Celui-ci est soupçonné d’user de ses contacts dans les pays de la SADC, dont il est historiquement proche, pour tenter de déstabiliser le régime.
Mais le rôle qu’aurait joué François Beya dans ces activités est incertain, notamment parce qu’il entretenait des relations houleuses avec certains de ses anciens alliés, comme Kalev Mutond.
Depuis l’arrestation du 5 février, l’attention de l’ANR s’est notamment focalisée sur la fratrie de l’ancien président. Fin janvier, Joseph Kabila avait déjà vu son voyage en Afrique du Sud retardé sur décision de l’agence, qui souhaitait notamment s’assurer de l’identité des gardes qui l’accompagnaient.
Son frère Zoé Kabila a connu une mésaventure semblable le 9 février dernier. Empêché, sur décision de la DGM, d’embarquer à bord du vol South African Airways pour Johannesburg, où résident sa femme et ses enfants et où il poursuit, selon ses proches, des études. Convoqué par l’ANR, il s’est ensuite présenté dans leurs locaux en compagnie de sa sœur Jaynet Kabila, jumelle de l’ancien président.
Il y a été interrogé par Jean-Hervé Mbelu Biosha sur des réunions organisées dans son bureau ces dernières semaines. Selon ses proches, Zoé Kabila a répondu que ces rendez-vous servent notamment à préparer, avec ses avocats, sa défense face aux accusations de détournement qui le visent depuis sa destitution du poste de gouverneur du Tanganyika.
Avec Jeuneafrique, le titre est légèrement retouché par d’Okapinews.net